La bataille de l’eau
En France, c’est paradoxalement le château de Vaux-le-Vicomte, près de la forêt de Fontainebleau, qui prélude à l’histoire des Grandes Eaux de Versailles et qui sera construit pour Nicolas Fouquet (1615-1680) alors surintendant général des finances au service de Mazarin. Fouquet gèrera avec virtuosité les finances du royaume, qu’il aura par ailleurs bien du mal à dissocier des siennes. Son amour du faste, des objets précieux et des jolies femmes attisera d’autant plus les jalousies.
L’édification de Vaux-le-Vicomte demandera cinq années de travail et mobilisera dix huit mille ouvriers. Tout sera prêt pour le jour de l’inauguration, le 17 Août 1661. Ce jour là, Fouquet offre une fête en l’honneur de Louis XIV ou toute la cour est conviée. Vatel, le majordome s’est surpassé. La réception est d’un luxe inouï. La table par exemple, est garnie d’un service en or massif, alors que le jeune roi ne possède, lui, qu’un service en vermeil ! Dans ce cadre féerique, le spectacle culmine avec les jeux d’eau créés par le fontainier Robillard.
Fouquet, en voulant éblouir le roi, vient de commettre la pire des maladresses, car il ne peut y avoir qu’un seul astre du jour ! C’est sans doute plus la jalousie que le devoir de justice qui poussera Louis XIV à vouloir arrêter le surintendant et le faire jeter en prison. Il sera arrêté à Nantes trois semaines plus tard. Après un acharnement judiciaire qui durera trois ans, Fouquet sera condamné au bannissement. Louis XIV est alors âgé de 23 ans. Une de ses priorités sera de surpasser la réalisation de Fouquet, pour la gloire de son règne, mais aussi pour asseoir son pouvoir. Il y parviendra en créant Versailles, et en supervisant personnellement cet immense chantier qui durera plus de vingt ans.
A L’EGAL DES ROMAINS
En 1674, on avait construit la fameuse machine de Marly, dont le débit s’avéra vite insuffisant pour alimenter les quatorze cent cascades de Versailles (il en subsiste six cent sept) qui, selon la volonté du roi ne devaient s’arrêter ni de jour ni de nuit. Malgré l’extension du réseau supérieur jusqu’à Rambouillet, Versailles continue désespérément à manquer d’eau.
Ce constat de bilan hydraulique déficitaire va amener Louis XIV à prendre une dernière grande décision, pour achever enfin son projet versaillais. C’est en 1684 qu’il décide d’entreprendre un chantier gigantesque, digne des romains, dans le but de résoudre ce problème qui le hante, et si possible de façon définitive.
La Hire , alors académicien des sciences, put établir que l’Eure, à proximité de Pontgoin en amont de Chartres, était plus haute de près de quatre vingt pieds ( 26 mètres) que le réservoir de la Grotte de Thétis, située à plus de cent kilomètres de là. Dés lors, la perspective de résoudre définitivement le problème des ressources en eau précipita les évènements.
LE CANAL DE L’EURE
Le tracé originel fût en effet conçu de façon ambitieuse : Le canal projeté avait une longueur de quatre vingt trois kilomètres, une largeur de cinq mètres, une profondeur de deux mètres cinquante et une pente de quinze centimètres au kilomètre, afin de permettre la navigation jusqu’à Rambouillet sans devoir recourir à des écluses ! La digue de Boizard constituait le premier ouvrage du tracé mais le canal prenait ses eaux à Pontgoin précisément. Les quarante premiers kilomètres du tracé ne comportaient guère de difficulté. C’est à Maintenon que résidait le principal obstacle : le franchissement de la vallée de l’Eure à quelques centaines de mètres du château de Mme de Maintenon. Il fallait construire un aqueduc aux proportions exceptionnelles, d’une longueur de plus de cinq kilomètres, et d’une hauteur de soixante douze mètres sur trois étages (soit la hauteur des tours de Notre-Dame de paris), compter quarante sept arcades au premier rang, cent quatre vingt quinze au second et trois cent quatre vingt dix de quatorze mètre de haut pour le dernier. Cet ouvrage nécessitera une telle masse de matériaux que, pour les acheminer au pied de l’aqueduc, on entreprendra la construction de deux canaux depuis les carrières de pierre situées près d’Epernon et de Gallardon. Le premier canal suivait la vallée de la Guesle et comprenait neuf écluses sur dix sept kilomètres, le deuxième empruntait la vallée de la Voise et comprenait quatre écluses sur douze kilomètres.
Ces voies navigables s’achevaient parallèlement de chaque coté de l’aqueduc de Maintenon pour faciliter les opérations de déchargement des pierres de taille. Une des premières tâches, pour mener à bien cette vaste entreprise sera de procurer l’outillage et le matériel nécessaire à la main d’œuvre. On commencera par faire venir deux mille brouettes de Flandre. Mais comme cela ne suffira pas, on en fabriquera sur place, avec des planches récupérées sur de vieux bâtiments du port de Rouen. Pour édifier les immenses remblais, l’entrepreneur devra fournir seize mille brouettes et douze mille pioches. Pour les besoins en charbon nécessaires à la cuisson des briques, on importera de Newcastle, dans la seule année de 1687, quatre mille tonnes de houille anglaise. Quant à la main d’œuvre, qu’il fallait nombreuse, on fera appel aux paysans de la région et à l’armée pour prêter main forte aux ouvriers. Le surintendant des Bâtiments, Louvois (1639-1691), y affectera jusqu’à trente mille hommes et en confiera la direction au maréchal Vauban (1633-1707). Le commandement du camp sera attribué au marquis d’Huxelles et le poste d’ingénieur en chef à Isaac Robelin.
Les travaux commencèrent en avril 1685 sous la direction de La Hire pour les terrassements et de Vauban pour les constructions. Louvois venant surveiller l’avancement des travaux deux fois par mois. Le Roi lui-même visita plusieurs fois le chantier, distribuant des récompenses pour stimuler les travailleurs.
LE REVE INACHEVE
Les travaux du canal entraînèrent, de 1685 à 1688 une dépense annuelle moyenne de deux million de livres. A début de l’année 1688, une grande partie des travaux était déjà réalisée. Louvois pressentant l’entrée en guerre contre la ligue d’Augsbourg, souhaitait finir l’ouvrage au plus vite. Aussi, pour accélérer les travaux, on renonça l’idée d’un canal de niveau pour le remplacer par un siphon et abaisser ainsi la hauteur de l’aqueduc dont le premier étage venait de s’achever. Louis XIV, qui a effectué sa dernière visite de chantier en 1688, seul et sans faste, le pressant peut être déjà. Avant l’été de cette même année, enverra ses régiments au front. L’échec du projet est cinglant : neuf millions de livres engloutis en pure perte, ne laissant que le premier étage de l’aqueduc de Maintenon comme témoin de cette déroute.Bien que Vauban estimât à huit cent mille livres et à deux années seulement la durée nécessaire à l’achèvement du canal de l’Eure, le projet fut définitivement abandonné en 1695. Lorsque la paix fut signée en 1697, les caisses de l’état étaient désespérément vides. Les finances ne permettaient pas la reprise du chantier, pourtant largement avancé. Mme de Maintenon héritera de l’ouvrage inachevé, en dédommagement du franchissement de son domaine !
DBSources : « Versailles Les Grandes Eaux » Editions JDG, « Maintenon » Editions Norma